[3:14:40] Commentaire, par Iryna Sobchenko (BULAC), de la sélection de documents présentée à la BnF le 16 juin 2023.
La « Renaissance fusillée » en Ukraine (années 1920-1930) : figures d’une intelligentsia sacrifiée
Le 16 juin 2023, la BULAC a présenté à la BnF une sélection de documents faisant la lumière sur l'époque remarquable de l'avant-garde ukrainienne, dans le cadre de la demi-journée d'études « La "Renaissance fusillée" en Ukraine (années 1920-1930) : figures d’une intelligentsia sacrifiée ». Décimée par les répressions staliniennes, cette génération d'hommes et de femmes de lettres, qui a réinventé l’espace culturel et politique de l’Ukraine de l’entre-deux-guerres, a laissé un héritage de traces documentaires incontournable, en dépit de la censure et de l’oubli.
L'exposition
La sélection a été réalisée par Iryna Sobchenko, chargée de collections pour les domaines ukrainien et biélorusse.
Douze ouvrages issus des fonds de la BULAC et de l'Institut d'études slaves offrent une excursion dans l’activité et l’histoire éditoriale de la Vaplitè, l’Académie libre de la littérature prolétaire (Vilna Academia Proletars'koï Literatury en ukrainien). Ce groupement littéraire est fondé en 1926 à Kharkiv, jadis la capitale de l'Ukraine soviétique.
Pour quelques dizaines d’écrivains réunis autour de Mykola Kvyliovy (1893-1933), la Vaplitè devient un laboratoire d'expérimentation, qui va de pair avec une réflexion intellectuelle engagée. Pour Kvyliovy, la nouvelle littérature ukrainienne doit cultiver une approche européenne et s'approprier un patrimoine européen dont les frontières ne sont pas géographiques mais plutôt « psychologiques ». En outre, il prône la « Renaissance de l’Est », avec l’enjeu pour la culture ukrainienne de décoloniser le mouvement révolutionnaire.
Paru en décembre 1926, l’Almanach premier de la Vaplitè se compose exclusivement des œuvres littéraires des vaplitéens, dont entre autres Pavlo Tytchyna, Volodymyr Sossioura, Mykola Bajan, Maik Yohansen et Iouri Yanovsky.
Dès le départ, l’activité de la Vaplitè est critiquée par le comité central du parti et par Staline lui-même. Après la dissolution forcée du groupement en 1928, les vaplitéens se réunissent autour du mensuel conceptuel Literaturny Yarmarok (La Foire littéraire) qui continue à paraître jusqu’en 1930. Cet almanach ludique est illustré par Anatol Petrytsky et comporte des dessins miniatures des auteurs eux-mêmes sur les marges. La plupart de ces contributeurs ne survivront pas aux répressions qui s’ensuivent. Mykola Kvyliovy se suicide en 1933, après avoir été témoin des premières vagues d'arrestations et de la famine qui sévissait dans la campagne, niée par les autorités.
C’est en 1959, grâce à l’anthologie publiée à Paris aux éditions de l’Instytut Literacki, que le phénomène de la Renaissance fusillée commence à sortir de l’ombre. Le concept est cerné à l’issue de l’effort éditorial considérable de Iouri Lavrinenko, réalisé à l’initiative de Jerzy Giedroyc, rédacteur en chef de la revue Kultura. La renaissance est un terme qui résonnait fort pour la génération de 1920. Cette auto-dénomination est justifiée notamment par l'essai Renaissance de la littérature ukrainienne, publié en 1925 par Alexandre Leites, critique littéraire et poète vaplitéen.
Dans cette époque marquée par l’urbanisation rapide, l'épanouissement des avant-gardes et les vives polémiques littéraires, la renaissance est synonyme de progrès et de renouveau, d’une nouvelle vague (Kvyliovy, le nom de plume de Mykola Fitiliov, fait référence à la khvylia, la vague en ukrainien). Cet esprit se manifeste au sein de plusieurs groupements - les futuristes ukrainiens et leur chef de file Mykhaïl Semenko, les néoclassiques, les avant-gardistes, Ploug (Association des écrivains de la campagne), MARS (Atelier du verbe révolutionnaire), le Théâtre Berezil et beaucoup d’autres.
Traduit en français et adapté par Louis Aragon, Les cavaliers (1935) de Iouri Yanovski est l'œuvre la plus connue de cet écrivain néoromantique ukrainien, et la plus prisée par la critique soviétique. Finement construit, ce roman à nouvelles relate l’histoire tragique de la guerre civile de 1917-1920 en Ukraine à l’échelle d’une fratrie tiraillée entre les forces politiques concurrentes.
Peu après la publication des Cavaliers, les Œuvres de Yanovski, traduites en russe et préfacées par Alexandre Leites, sont présentées au pavillon soviétique lors de l’Exposition universelle de 1937 à Paris. Pour Yanovski comme pour d’autres auteurs ukrainiens, la reconnaissance en tant qu’écrivain soviétique se paie au prix fort de la censure, de la mise au silence et de la menace constante de répression.
Le cinéma ukrainien qui s’épanouit dans les années 1920 sous l’égide de la Direction générale de la photocinématographie d'Ukraine (VUFKU) est un milieu de prédilection pour de nombreux gens de lettres de l’époque. Lorsque Mikhaïl Semenko et Iouri Yanovsky sont rédacteurs scénaristes chez VUFKU, Mykola Bazhan, leur ami et collègue de plume, dirige Kino, la première revue spécialisée de la critique cinématographique en Ukraine.
Le premier roman de Iouri Yanovski, Le maître du navire (1928) est souvent considéré comme un vrai chef d'œuvre grâce à sa forme singulière, inspirée par la passion du cinéma. Le processus de la création artistique incarné dans ce texte autofictionnel fait allusion aux années 1925-1926, quand le jeune écrivain était directeur artistique au studio cinématographique d’Odessa, qu’il appelait « l'Hollywood ukrainien au bord de la mer Noire ». Un des protagonistes du roman fait référence à Olexandre Dovzhenko, figure de proue du cinéma ukrainien.
(Re)voir la demi-journée d'étude
Autour de la Renaissance fusillée - Ukraine des années 1920-30
400 documents disponibles dans le catalogue de la BULAC
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Nos intervenants
Chargée de collections pour les domaines ukrainien et biélorusse à la BULAC de 2021 à 2023.
Née à Kyiv, Ukraine. En 2007, après avoir obtenu son master en lettres à l'Université linguistique de Kyiv, Iryna Sobchenko rejoint le département de la littérature comparée de son alma mater en tant que chargée de cours. En parallèle de son parcours académique, elle traduit des textes de fiction et de poésie du français et de l'italien, ainsi que des essais de philosophie et de critique littéraire. Ses traductions des œuvres d'Agota Kristof, de Noëlle Revaz ou de Pietro Aretino ont paru dans la revue Prostory, et Le noir est une couleur de Grisélidis Réal en ukrainien, chez l'éditeur Books XXI. En 2013, elle part pour Genève afin de travailler sur son projet de recherche consacré à la littérature suisse, intégré plus tard dans sa thèse en cours sur l'écriture minimaliste.