Le quốc-ngữ. L'écriture romanisée, vecteur d'une renaissance culturelle au Vietnam (1860-1945)
Le Vietnam est le seul pays asiatique à avoir abandonné l’usage des sinogrammes au bénéfice des caractères latins. La vulgarisation de cette écriture, appelée quốc-ngữ, est d'abord soutenue par l'administration coloniale française, avant d'être promue par les courants modernisateurs des lettres vietnamiennes, qui voient l'opportunité d'édifier une nation moderne et indépendante. La diffusion de l'écriture romanisée permet de retracer l'essor de la presse et de l'édition littéraire et artistique en langue vietnamienne.
Commissariat
Thi Hai Nguyen, chargée de collections pour le domaine vietnamien
Vitrines du rez-de-jardin, du lundi au samedi, de 10h à 20h
Entrée libre
Le début de la romanisation du vietnamien
Le Vietnam est le seul pays d’Asie à avoir abandonné les caractères chinois au profit de l’alphabet latin. Le quốc-ngữ, « écriture nationale » (comme la traduction du terme l’indique), est le fruit de la collaboration, amorcée dès le début du XVIIe siècle, entre les missionnaires européens et les lettrés chrétiens vietnamiens, visant à faciliter l’évangélisation. Avant les années 1860, les ouvrages en quốc-ngữ, le plus souvent des publications catholiques, sont édités à l’étranger.
Bien qu’Alexandre de Rhodes n’ait pas été le premier inventeur du quốc-ngữ, il a compilé, amélioré et systématisé les systèmes de transcription de ses prédécesseurs missionnaires, notamment Francisco de Pina (1585-1625). Son premier ouvrage est un dictionnaire portugais-vietnamien-latin, le Dictionarium Annamiticum Lusitanum et Latinum, paru en 1651 à Rome, repris d’un dictionnaire portugais-vietnamien de Gaspar do Amaral et António Barbosa. La même année, il publie le Cathechismus in octo dies divisus, en bilingue latin-vietnamien. Ces deux premiers ouvrages publiés en quốc-ngữ attestent de l’influence du portugais et de l’italien dans la transcription des voyelles et des consonnes. Il s’agit d’outils d'apprentissage du vietnamien pour les Européens.
La diffusion des premières impressions en vietnamien romanisé
Dès le lendemain de la conquête militaire de la Cochinchine, l’instauration du régime colonial promeut l’usage du vietnamien romanisé pour des raisons administratives et politiques. Cette politique déclenche l'avènement de la publication en quốc-ngữ à Saigon, la capitale de la Cochinchine française. Des ouvrages voient le jour en quốc-ngữ, publiés par des orientalistes françaises, mais aussi des intellectuels vietnamiens connus tels que Trương Vĩnh Ký (1837-1898), Huỳnh Tịnh Của (1834-1907), Trương Minh Ký (1855-1900), etc. Ils sont d’abord édités par l’imprimerie de la Mission et l'Imprimerie du Gouvernement, puis plus tard par les imprimeurs tels que C. Guilland et Martinon, Rey et Curiol, etc.
Le Lục Vân Tiên (Histoire de Lục Vân Tiên) est un poème épique composé entre les années 1851 et 1859 par Nguyễn Đình Chiểu (1822-1888), devenu un classique de la littérature vietnamienne. L’ouvrage de Gustave-Jean-Auguste Janneau est la première transcription de cette œuvre en quốc-ngữ. C’est l’une des sources principales qui permettent à Abel des Michels de publier Lục Vân Tiên ca diễn en trilingue en 1883. Cette dernière édition fait toujours référence aujourd’hui.
À découvrir sur le Carreau de la BULAC :
La découverte d'une version inédite du Lục Vân Tiên, poème épique vietnamien du XIXe siècle, par Thi Hai Nguyen
Truyện Kiều ou Kim Vân Kiều (L’Histoire de Kiều) est un roman en vers vietnamien composé au début du XIXe siècle par Nguyễn Du (1765-1820). Il comprend 3 254 vers de Lục-bát (6-8 syllabes), une forme de versification de la poésie traditionnelle vietnamienne. Considéré comme l'œuvre littéraire vietnamienne la plus importante, traduit en plus de 20 langues, il a été adapté en musique, au théâtre et au cinéma.
Pétrus Trương Vĩnh Ký (1837-1898) est un érudit polyglotte vietnamien, auteur d’une centaine d’ouvrages de linguistique, de littérature, de manuels scolaires et de traductions français-vietnamien. Il est le véritable instigateur du quốc-ngữ dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Cet exemplaire du Chuyện đời xưa est la première édition de cents contes plaisants vietnamiens en quốc-ngữ. Une vingtaines de contes ont été expurgés, cachés soit par de l'encre noir, soit par une feuille blanche collée sur le texte. À partir de la deuxième édition de cette œuvre, il ne reste plus que 74 contes.
Documents à l'usage de l'enseignement
La création du Collège des Interprètes à Saigon en 1861, au lendemain de la conquête militaire de la Cochinchine, favorise la diffusion du quốc-ngữ en dehors du cercle de l'Église. Dès lors, des écoles sont fondées dans les provinces du sud, puis du nord et du centre du Vietnam. Les études portent exclusivement sur l’enseignement de la langue vietnamienne écrite avec les caractères latins. Pour répondre aux besoins de formation des fonctionnaires, en particulier des interprètes de l’administration coloniale française, les cours de vietnamien sont aussi dispensés à Paris, d'abord à la Sorbonne en 1869, puis à l’École des langues orientales à partir de l'année universitaire 1871-1872. Les manuels de langue vietnamienne, notamment la grammaire, sont tout d’abord écrits en latin et en français, puis en quốc-ngữ. Des dictionnaires, des manuels, des textes littéraires, des transcriptions en quốc-ngữ des livres classiques chinois et des œuvres littéraires, ou encore des abécédaires sont progressivement édités au Vietnam et en France à l’usage de l’enseignement.
Abel des Michels (1833-1910) est le premier professeur de vietnamien en France. Après avoir donné les premiers cours de cochinchinois à la Sorbonne en 1869, il occupe la chaire de professeur d’annamite à l’École de langues orientales de 1871 à 1892. Il publie environ une trentaine de livres à l’usage de l’enseignement, dont ce manuel de langue vietnamienne, Huit contes en langue cochinchinoise : suivis d'exercices pratiques sur la conversation et la construction des phrases, transcrits à l'usage des élèves du cours d'annamite.
Edmond Nordeman (1869-1945) arrive à Hanoi en 1888 en tant qu’instituteur-auxiliaire occupant les fonctions d’adjoint au Collège des interprètes. Après avoir été le directeur du prestigieux Collège national de Huế de 1899 à 1906, il est nommé chef du Service de l’enseignement en Annam le 1er janvier 1907. Passionné par la langue vietnamienne et les sinogrammes, il publie environ une vingtaine d’ouvrages d’enseignement relatifs au vietnamien dont la plupart transcrivent des sinogrammes en quốc-ngữ.
Périodiques
Au début du XXe siècle, notamment après la victoire du Japon sur la Russie en 1905, la diffusion du quốc-ngữ est paradoxalement soutenue par les lettrés modernistes vietnamiens, qui voient dans cette romanisation une opportunité de s’ouvrir à l’héritage intellectuel européen et de faciliter l’accès à de nouvelles connaissances qui serviront à édifier une nation moderne. Facile à lire et à écrire, le quốc-ngữ est aisément adopté par les Vietnamiens. Sa diffusion donne naissance à la presse et à la littérature moderne vietnamiennes.
En 1865, le premier titre de presse indigène en quốc-ngữ, Gia Định báo, paraît à Saigon. La presse devient au début du XXe siècle le canal de diffusion le plus efficace de cette écriture, alors qu’apparaissent des titres quotidiens, hebdomadaires, mensuels ainsi que des revues et magazines spécialisés, économiques ou socio-culturels. La presse est également le médium privilégié des écrivains, des scientifiques, des personnalités politiques et des femmes qui s’engagent dans la lutte féministe, dans le sillage du mouvement moderniste. La BULAC conserve plus de 70 titres de presse fondés avant 1945 tels que Nông cổ mín đàm (fondé en 1901), Lục tỉnh tân văn (fondé en 1907), Đông Dương tạp chí (fondé en 1907), Trung Bắc Tân Văn (fondé en 1915), Nam Phong (fondé en 1917), Học báo (fondé en 1920), Phụ nữ tân văn (1929).
Gia Định báo est un journal de la colonie, fondé en 1865 à Saigon, qui publie en quốc-ngữ à la fois les textes officiels et des articles sur l’histoire, la morale et l’actualité. Trương Vĩnh Ký (1837-1898) est le premier rédacteur en chef, avant Huỳnh Tịnh Của (1834-1907). Le premier numéro paraît le 15 avril 1865. La BULAC est la seule bibliothèque du monde à détenir le plus ancien numéro conservé à ce jour, le numéro 4, qui date du 15 juillet 1865.
Nam phong (Vent du Sud), revue mensuelle puis trimestrielle, est fondée par Phạm Quỳnh (1892-1945). Le premier numéro paraît le 1er juillet 1917 et le dernier en décembre 1934. La plus grande partie est éditée en quốc-ngữ, une partie en hán (chinois) et une autre en français. Les sujets de cette revue sont variés : littérature, histoire, éducation, politique, philosophie, religion, arts, économie, sciences, linguistique, récits de voyage.
Littérature et traduction
Tandis que la culture classique décline peu à peu, une littérature nouvelle prend forme, d’abord dans le Sud, puis dans le Centre et le Nord. Des récits en quốc-ngữ sont édités dans le Sud dès les années 1860, comme ceux des érudits catholiques Trương Vĩnh Ký, Huỳnh Tịnh Của, puis paraissent les premiers romans à l'occidentale comme Truyện thầy Lazaro Phiền (1887).
Dès le début du XXe siècle, de grandes œuvres littéraires occidentales et chinoises sont traduites en quốc-ngữ dans le but de diffuser cette écriture romanisée et les nouvelles idées. De nouvelles formes comme la fiction littéraire, le journalisme militant, l’essai se propagent et sont accueillies avec enthousiasme. Les lecteurs vietnamiens de l’époque découvrent des traductions de Molière, Hugo, La Fontaine, Dumas et Swift entre autres. Sous l’influence de la littérature occidentale, notamment française, la littérature vietnamienne écrite en quốc-ngữ connaît un développement sans précédent dès les années 1920. Le succès littéraire de Thơ Mới (Nouvelle poésie) et de Tự Lực văn đoàn (Par ses propres forces) dans les années 1930 confèrent au quốc-ngữ son statut d’écriture littéraire et culturelle.
Pour aller plus loin
Thi Hai Nguyen vous propose une bibliographie d'une soixantaine de titres dans le catalogue de la BULAC.
Hành trình nhật ký
Chuyện dời xưa
Français et annamites
Chữ Quốc ngữ
Chữ, văn quốc ngữ
Đông kinh nghĩa thục và phong trào cải cách văn hóa đầu thế kỷ XX
Đông Kinh Nghĩa Thục
Alexandre de Rhodes & vấn đề chữ Quốc ngữ
Journée d'étude, le 19 avril 2023
Le livre et l'écrit dans la modernisation du Vietnam, du milieu du XIXe siècle aux années 1940
Cet événement est co-organisé par la BULAC, le Centre de recherches linguistiques sur l'Asie orientale - CRLAO (Inalco-CNRS-EHESS), le Groupe Sociétés Religions Laïcités - GSRL (CNRS-EPHE), l'Institut d'Asie Orientale - IAO (CNRS-ENS de Lyon) et l’Institut de recherches asiatiques - IRASIA (CNRS-Aix Marseille Université). Il s’inscrit dans le cadre du 50e anniversaire des relations France-Vietnam.
- De 9h à 18h
- Inalco, Maison de la recherche (2, rue de Lille - 75007 Paris) - Auditorium Dumézil
- Entrée libre dans la limite des places disponibles
Dans le contexte troublé de la colonisation, le Vietnam est le seul pays asiatique à avoir abandonné l’usage officiel des sinogrammes au bénéfice d’une nouvelle écriture basée sur les caractères latins. Cette écriture, appelée quốc-ngữ, est le résultat d’une collaboration depuis le XVIIe siècle entre les missionnaires européens et les premiers lettrés chrétiens vietnamiens afin de faciliter l’évangélisation. Au cours du XIXe siècle, le développement de l’imprimerie à caractères mobiles au détriment de la xylographie a définitivement produit une mutation de la production de l’écrit.
Dès le lendemain de la conquête militaire de la Cochinchine, l’instauration du régime colonial a promu l’usage du vietnamien romanisé pour des raisons administratives et politiques. Le développement de cette nouvelle façon d’écrire la langue vietnamienne a induit en conséquence d’importantes transformations culturelles. Le remplacement du sinogramme par le quốc-ngữ a été proposé dès le début de la colonisation en Cochinchine, avant d’être entériné par le dernier concours littéraire à Hué en 1919. Les éditions vietnamiennes en quốc-ngữ ont alors été florissantes dès les années 1870, comme le prouvent les très nombreuses translittérations et traductions d’écrits anciens, l’édition de dictionnaires, manuels de langues, des récits, etc. par l’administration coloniale, les lettrés chrétiens et plus largement une nouvelle élite émergente.
Au début du XXe siècle, la diffusion de l’écriture romanisée a été paradoxalement soutenue par les lettrés modernistes vietnamiens qui ont vu dans cette romanisation une opportunité de s’ouvrir à l’héritage intellectuel européen, de faciliter l’accès à de nouvelles connaissances qui serviront à édifier une nation moderne. Facile à lire et à écrire, le quốc-ngữ a été adopté par les Vietnamiens et sa diffusion a donné naissance à la presse et à la littérature moderne vietnamiennes. Les éditions locales s’étaient développées et les livres, porteurs de connaissances, ont circulé largement et sont devenus l’un des agents importants de modernisation, illustrant la réflexion de Franklin Roosevelt : « Les livres sont la lumière qui guide la civilisation ». Nous avons assisté à un véritable tournant dans l’histoire du Vietnam.
Depuis des décennies, le sujet de la modernisation du Vietnam a intéressé de nombreux chercheurs, mais les aspects techniques, matériels et linguistiques de l’édition dans ce processus restent encore peu étudiés. Ces questions seront abordées au cours de cette journée d’étude.
Programme détaillé
Contacts
- Thi Hai Nguyen (thi-hai.nguyen@bulac.fr)
- Huy Linh Dao (huy-linh.dao@inalco.fr)
Comité d’organisation
- Pascal Bourdeaux (GSRL, EPHE)
- Huy Linh Da (CRLAO, CNRS-EHESS-INALCO)
- François Guillemot (IAO, CNRS-ENS)
- Thi Hai Nguyen (BULAC)
- Phuong Ngoc Nguyen (IRASIA, CNRS-AMU)
L'exposition dans les médias
« Số báo cổ nhất của tờ Gia Định báo được lưu trữ ở đâu ? Chắc hẳn rất nhiều người sẽ bất ngờ khi biết là số báo này được lưu ở Thư viện đại học Các ngôn ngữ và Văn minh BULAC tại Paris. Cho đến ngày 31/05/2023, người quan tâm có thể nhìn thấy số 4, xuất bản ngày 15/07/1865, cùng với rất nhiều tác phẩm cổ khác trong khuôn khổ triển lãm « Chữ quốc ngữ, nhân tố cơ bản trong sự đổi mới văn hóa Việt Nam từ năm 1860 đến 1945 ». »
Extrait de l'article consacré à l'exposition « Le quốc-ngữ. L'écriture romanisée, vecteur d'une renaissance culturelle au Vietnam (1860-1945) », par Thu Hằng sur RFI Vietnam (26-05-2023)
« Triển lãm “Chữ Quốc ngữ với quá trình thúc đẩy văn hóa tại Việt Nam giai đoạn 1860-1945” được tổ chức từ ngày 3/4 đến ngày 31/5 tại Thư viện Đại học Ngôn ngữ và Văn minh (BULAC), giới thiệu tới công chúng, học sinh, sinh viên và nghiên cứu sinh Pháp và quốc tế một số tác phẩm điển hình bằng chữ quốc ngữ mang dấu ấn thời kỳ đó. »
Extrait de l'article consacré à l'exposition « Le quốc-ngữ. L'écriture romanisée, vecteur d'une renaissance culturelle au Vietnam (1860-1945) », par Khải Hoàn-Minh Duy, Báo Nhân Dân (25-05-2023)
« Đây là lần đầu tiên các ấn phẩm mang phông chữ tiếng Việt cổ được giới thiệu trong khuôn khổ triển lãm “Chữ quốc ngữ, nhân tố cơ bản trong sự đổi mới văn hóa Việt Nam từ năm 1860 đến 1945” tại Paris. »
Extrait de l'article consacré à l'exposition « Le quốc-ngữ. L'écriture romanisée, vecteur d'une renaissance culturelle au Vietnam (1860-1945) », par Nguyễn Thu Hà, TTXVN/Vietnam+ (28-05-2023)
« Những ngày cuối tháng 5 này, Thư viện Đại học Ngôn ngữ và Văn minh ở thủ đô Paris của Pháp đang trưng bày một số ấn phẩm cổ chữ Quốc ngữ. Đây là lần đầu tiên các ấn phẩm mang phông chữ tiếng Việt cổ được giới thiệu tới công chúng Pháp nhân triển lãm “Chữ quốc ngữ, nhân tố cơ bản trong sự đổi mới văn hóa Việt Nam từ năm 1860 đến 1945”. »
Présentation de la vidéo réalisée par VNEWS, consacrée à l'exposition « Le quốc-ngữ. L'écriture romanisée, vecteur d'une renaissance culturelle au Vietnam (1860-1945) » (29-05-2023)
Visite de la BULAC et de l'exposition « Le quốc-ngữ. L'écriture romanisée, vecteur d'une renaissance culturelle au Vietnam (1860-1945) » par S.E.M Dinh Toàn Thang, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République socialiste du Viet Nam auprès de la République Française.
Nos intervenants
Chargée de collections pour le domaine vietnamien