Les années de pierre. Dissidences et résistances à la dictature des colonels
En novembre 1973, faisant suite à la mobilisation de février de la faculté de droit contre la junte militaire, des étudiants de l’École Polytechnique d’Athènes expriment leur opposition au régime dictatorial au pouvoir en Grèce depuis le coup d’État de 1967. Ils sont entourés et soutenus par des citoyens dissidents, d'âges et d’horizons socioprofessionnels variés. L’intervention armée et la répression brutale qui s’ensuit laissent derrière elles un bilan lourd en victimes et en détenus. Cinquante ans après, cette exposition présente les différentes formes de résistances à la dictature des colonels (1967-1974), à travers la littérature, la chanson, les témoignages personnels et la presse.
Commissariat
Nicolas Pitsos, chargé de collections pour le domaine grec
Vitrines du rez-de-jardin, du lundi au samedi, de 10h à 20h
Entrée libre
Chronologie
- 21 avril 1967 : Coup d’État des colonels à la veille des élections donnant gagnants les partis de centre-gauche. Ce coup d’État devance un coup d’État des généraux, préconisé par le Palais au cas où les pronostics électoraux se seraient confirmés. S’ensuivent des arrestations massives de citoyens et de cadres du monde politique. Le Front Antidictatorial Patriotique et la Défense démocratique sont parmi les premiers groupes de résistance à être fondés.
- Février 1968 : Fondation du Mouvement panhellénique de libération par Andréas Papandréou, depuis Stockholm.
- Mai 1968 : Déportations de dissidents sur l’île de Yaros.
- 1968 : Scission du Parti communiste grec (KKE) dans le sillage de l’étouffement du Printemps de Prague, entre une fraction pro-soviétique et une tendance critique aux pratiques autoritaires. Un demi-million de personnes accompagnent la dépouille de Georgios Papandréou au cimetière en criant : « À bas la junte ! », « Démocratie ! ». Les funérailles se transforment en premier rassemblement massif contre la dictature. Échec de la tentative d’assassinat contre Georgios Papadopoulos. Alekos Panagoulis est arrêté et torturé.
- 1969 : La BBC diffuse le message enregistré de Georgios Seferis, dans lequel le poète grec, prix Nobel de littérature en 1963, dénonce la junte militaire. Procès des membres du mouvement d’étudiants « Rigas Ferraios ». Le sculpteur Kaniaris expose dans une galerie privée, des compositions faites exclusivement de plâtre (référence ironique à la déclaration du dictateur Papadopoulos, affirmant lors du Coup d’État vouloir « plâtrer » le pays pour le sauver du communisme).
- 1970 : Condamnation de la dictature des colonels par le Conseil d’Europe suite à la publication du rapport de la Commission des droits de l’homme répertoriant les pratiques tortionnaires. Publication de l’ouvrage 18 κείμενα (18 textes), recueil de textes fustigeant la junte par dix-huit écrivains grecs.
- 1971 : Nouvelle manifestation massive contre les colonels à l’occasion des obsèques de Georgios Seféris. L’étudiant grec Kostas Georgakis s’immole par le feu à Gênes, en signe de protestation contre la dictature des colonels en Grèce.
- Février 1973 : Manifestation des étudiants de la faculté de droit contre la dictature.
- Mai 1973 : Le navire anti-torpilles Vélos (Flèche), se dirige vers Naples. Son commandant, Nikolaos Pappas, suivi de 31 officiers et sous-officiers, demandent l’asile en dénonçant le régime des colonels.
- Novembre 1973 : Insurrection de l’École Polytechnique d’Athènes. Intervention de l’armée et répression sanglante. Bilan officiel de vingt-neuf morts et une centaine de blessés, auquel s’ajoutent les innombrables arrestations.
- Juillet 1974 : Tentative d’assassinat du président et archevêque chypriote Makarios, orchestrée par la junte militaire grecque. Invasion de l’armée turque sur l’île de Chypre et occupation de sa partie Nord. Chute de la dictature des colonels et restauration de la démocratie. La date du 24 juillet est désormais instaurée comme la Fête de la République.
Dissidences et résistances avant 1967
À la fin de la guerre civile en 1949, les combattants de l’Armée démocratique, bras armé du parti communiste grec, s’enfuient vers les pays voisins de l’Europe de l’Est. Mis hors la loi, le parti communiste grec proclame un gouvernement démocratique provisoire en exil. À Budapest s’installe le siège des éditions « Laïkos Agonas » (Lutte populaire) alors que, dans la capitale roumaine, les éditions inféodées au parti sont connues d’abord sous le nom de « Nea Ellada » (« Grèce nouvelle »), avant d’être rebaptisées, à partir de 1955, en « Politikes kai logotechnikes ekdoseis/P.L.E. » (Éditions politiques et littéraires). Hormis des essais politiques et des œuvres littéraires, ces maisons d’édition donnent aussi la voix aux emprisonnés et torturés de la guerre civile et des régimes autoritaires de droite qui se sont succédé au pouvoir entre 1949 et 1963.
Les références historiques des dissidents et résistants
La lutte contre le régime fasciste du 4 août 1936 (instaurant la dictature de Metaxas), la résistance à l’occupation de l’EAM (Front de libération nationale, fondé en 1941), et le déclenchement de la guerre d’indépendance en 1821 constituent trois séquences de l’histoire grecque moderne mobilisées de manière récurrente par les opposants de gauche à la dictature des colonels.
Le coup d'État du 21 avril 1967 vu d'ailleurs
Plusieurs personnalités de la vie politique, artistique et académique en France se sont activement engagées dans le soutien des dissidents grecs. Jean-Jacques Servan-Schreiber, secrétaire général du parti radical-socialiste, intervient ainsi auprès des colonels en vue de la libération du compositeur Mikis Theodorakis. Jean-Paul Sartre dirige, quant à lui, le numéro spécial « Aujourd’hui la Grèce » dans la revue Les Temps modernes en 1969. Une partie de ces contributions ont été traduites en italien et éditées l’année suivante en Italie.
À la veille du coup d’État du 21 avril 1967, le journaliste Vasos Mathiopoulos se retrouve à Athènes avec une équipe de tournage de la télévision allemande. Dans l'ouvrage Athènes brûle : le 21 avril 1967 en Grèce, il réunit ses mémoires durant ce séjour qui vit sombrer la société grecque dans une dictature répressive. Son titre pourrait être un clin d’œil au film Paris brûle-t-il ? de René Clément, sorti en 1966, qui retrace les événements de la semaine d’août 1944 ayant amené à la libération de Paris dans un contexte politique caractérisé par la rivalité entre gaullistes et communistes pour la conquête du pouvoir.
Andreas Papandreou, fils de Georgios, premier ministre destitué par le roi en 1965, est arrêté en avril 1967. Après huit mois passés en prison, il obtient sa libération en partie grâce aux pressions américaines dont il a bénéficié du fait de son statut d’éminent académicien aux États-Unis. La relation des USA avec les colonels est ambiguë. D’un côté, ses responsables politiques condamnent la dictature des colonels et ses pratiques devant le Congrès. D’un autre côté, les responsables militaires et la C.I.A. appuient ouvertement les colonels grecs, en multipliant les visites amicales en Grèce et en déconseillant aux membres du gouvernement américain, ainsi qu’aux autres gouvernements alliés toute action ou sanction contre le régime d’Athènes.
La littérature publiée à l’étranger
Rigas Lavras est le pseudonyme du journaliste et écrivain Pantelis Trogadis (1932-1997), exilé aux États-Unis et au Canada pendant la dictature. Membre du Front patriotique et de la Défense démocratique, il est parmi les pionniers du mouvement contre la dictature à l’étranger. Au Canada, il travaille comme rédacteur au sein du journal grécophone Ελληνοκαναδικό Βήμα (La tribune gréco-canadienne). Fondé à Montréal en 1964, ce journal hebdomadaire publie également des articles en anglais et en français.
Spécialiste de l’histoire orale et du mouvement ouvrier américain, Dan Georgakas signe en 1967 le « Writers and Editors War Tax Protest ». Publié par The New York Review of Books, ce manifeste réunit des centaines d’écrivains et éditeurs américains refusant de payer la surtaxe de 10 % due à la poursuite de la guerre du Vietnam. En 1968, Dan Georgakas dédie une anthologie de poésie révolutionnaire à Yannis Ritsos, poète grec emprisonné par les colonels en raison de son idéologie marxiste.
Le titre Z renvoie au slogan « Zi » (Vit en grec) martelé par la foule lors des funérailles de Grigoris Lambrakis, député de gauche, protagoniste du mouvement de la paix et du désarmement nucléaire, assassiné à Thessalonique en mai 1963 par des groupes paramilitaires d’extrême-droite. En 1969, la junte réhabilite les deux officiers de gendarmerie inculpés dans l’affaire de son assassinat. La même année, Costa-Gavras tourne son film Z, adaptation cinématographique du roman homonyme de Vassilis Vassilikos.
Tefkros Anthias (1903-1968) est un poète chypriote d’expression grécophone. Engagé dans le mouvement ouvrier à Chypre pendant la période de la lutte anticoloniale, il s’installe à Londres à partir de 1957, où il poursuit son œuvre littéraire en fondant les éditions qui portent son nom. Quelques mois avant son décès en 1968, il publie ce recueil poétique pour manifester son soutien aux Grecs, soumis depuis le mois d’avril 1967 au régime des colonels.
Dans les années 1960 et 1970, la Suède est une des terres d’asile les plus accueillantes pour les dissidents grecs. C’est depuis Stockholm qu’Andreas Papandreou annonce la création de son Mouvement panhellénique antidictatorial, alors qu’Antonis Mystakidis fonde à Lund les éditions « Ta tetradia tou Riga » (Les cahiers de Rigas), en hommage au chantre des Lumières néo-helléniques Rigas Feraios-Velestinlis. L’article du 3 mai 1968 paru dans La tribune grécocanadienne (Eλληνοκαναδικόν Βήμα), relayé sur la quatrième de couverture de l’ouvrage Ī ellīnikī́ pnevmatikī́ kai politikī́ elefthería [La liberté intellectuelle et politique grecque], fait l’éloge de cette poignée d’intellectuels grecs qui impriment des livres afin d’éclairer leurs compatriotes plongés dans un état d’obscurantisme par le régime conservateur des colonels.
L'anthologie Kravgés : Selídes apótin adoúloti ellinikí logotechnía [Cris : pages de la littérature grecque libre] est éditée par la revue Exodos publiée à Paris pendant la dictature des colonels. L’introduction indique au lecteur qu’il pourra y trouver des textes ayant circulé dans la clandestinité sur le modèle des samizdats, des textes rejetés par la censure des colonels, ou encore d’autres rédigés par les exilés eux-mêmes.
La littérature publiée en Grèce
Le coup d’État du 21 avril vient étouffer le printemps culturel amorcé en Grèce depuis la fin des années 1950. L’effervescence intellectuelle s’était surtout manifestée dans les domaines de la littérature, de la musique, du théâtre et du cinéma. Dès le premier jour du régime, presque tous les écrivains grecs entreprennent, selon un accord tacite, une grève du silence en signe de protestation contre la censure. Des deux principales revues littéraires, l’une, gauchisante, Epitheorisi Technis (Revue d’art), est interdite ; l’autre, de tendance libérale, Epoches (Saisons), décide de cesser son activité. Peu à peu, à l’instar de ce qui se passe dans les pays du bloc soviétique, des œuvres polycopiées commencent à circuler sous le manteau.
En 1969, le poète Georgios Seferis, constatant le marasme auquel la dictature des colonels a réduit la vie intellectuelle en Grèce, sort de son silence pour lancer un émouvant avertissement à son peuple. Sa déclaration produit une profonde impression : un mois plus tard, dix-huit écrivains publient un texte contestant l’absence de toute liberté intellectuelle, se déclarant solidaires des intellectuels libéraux tchèques et soviétiques, et soulignant que « La liberté est indivisible ». À partir de 1970, le régime affiche sa volonté de « libéralisation » dans le domaine de la création artistique. Conscients du caractère illusoire de cette annonce et des arrière-pensées qui l’ont motivée, plusieurs écrivains et éditeurs s’engouffrent dans cette brèche d’ouverture artificielle destinée à édulcorer l’image du régime à l’extérieur.
En 1973, la troupe de Tzeni Karezi et Kostas Kazakos monte la pièce de théâtre de Iakovos Kambanellis, Notre grand cirque. À travers une série d’allégories historiques mettant en scène des séquences de l’histoire grecque récente, telles que le 3 septembre 1843 (date de la Constitution abolissant la monarchie absolue), ou encore la résistance sous l’Occupation, les représentations se transforment en actes d’opposition collective à la dictature. Afin de passer le crible de la censure, l’auteur soumet sa pièce en petites parties, enrichies d’épisodes qui n’avaient pas vocation à être joués mais qui servaient à protéger le reste de l’œuvre. Le service de la censure finit par découvrir le stratagème et les deux protagonistes sont arrêtés et incarcérés. Cette pièce constitua malgré tout un moment exceptionnel de résistance, témoignant du pouvoir subversif de la création artistique.
En novembre 1973, l’École polytechnique d’Athènes devient le lieu de convergence de tous les opposants à la dictature. Les étudiants sont érigés en fer de lance du mouvement de contestation et de protestation. Après des jours entiers de manifestations massives devant l’École, les étudiants sont barricadés à l’intérieur en vue de poursuivre leur acte d’opposition. La nuit du 16 au 17 novembre, la junte ordonne à l’armée d’intervenir, un tank écrase le portail d’entrée, déclenchant un véritable pogrom. Les poèmes de ce recueil, que la poétesse Machi Mouzaki dédie aux mères qui n’entendront plus jamais le rossignol chanter, sont consacrés aux victimes de cette répression policière et militaire.
Né en 1909, Yannis Ritsos a pris part à la résistance. Après la guerre, il connaît plusieurs années de prison et d’exil en raison de ses orientations idéologiques. Comme plusieurs de ses camarades, il est arrêté le 21 avril 1967. Son état de santé empirant, il est libéré en décembre 1968 grâce à une importante mobilisation internationale. Ses amis à l’étranger sont cependant surpris par le silence qui suit sa libération, n‘apprenant que plus tard qu’il avait été officieusement assigné à résidence à Samos et que tout contact avec l’extérieur lui était interdit. C’est depuis cette île qu’il signe certains des poèmes inclus dans le recueil exposé.
La chanson a été un des moyens les plus répandus d’opposition à la dictature. Mises à part les chansons de Mikis Theodorakis, figure de proue de la résistance contre les colonels, les opposants puisent aussi dans le répertoire des chansons des partisans sous l’Occupation, ou encore dans la tradition des chansons démotiques s’inspirant de la guerre d’indépendance grecque des années 1820. L’ouvrage Tragoúdia apó tous agónes tou ellinikoú laoú réunit des chansons issues des luttes du peuple grec publiées par les éditions Demokratia à New York.
Les témoignages personnels
Publiés essentiellement à l’étranger, les témoignages dénonçant les méthodes d’oppression et les tortures pratiquées par la dictature des colonels ont permis aux institutions internationales de prendre conscience du sort réservé aux opposants du régime. Ces publications ont aussi sensibilisé l’opinion publique à ce sujet dans les sociétés où elles étaient diffusées.
On l’a surnommé « l’île du Diable » (en référence à l’île de Guyane qui a servi de bagne), « le Dachau de la Méditerranée », ou encore « la Bastille de la mer Égée ». « Tous ces noms ne sont que des termes de comparaison. En réalité, Youra est quelque chose de nouveau et de très spécifique ; c’est un camp de concentration-prison, un amalgame de barbarie anglo-américaine et de ce qu’il y a de plus criminel dans le fascisme hitlérien. C’est aussi quelque chose de nouveau parce que la criminalité nazie et la barbarie anglo-américaine y ont été renforcées par la férocité de quelques Grecs, nos bourreaux, et aussi parce que Youra est une île maudite par sa propre nature. » (Extrait de l’introduction signée par les détenus de Youra)
Du 20 au 23 novembre 1968, l’avocate Nicole Dreyfus (1924-2010), par ailleurs engagée dans le combat anticolonial en Algérie, assiste au procès de l’organisation de résistance estudiantine « Rigas Ferraios » au sein du tribunal militaire d’Athènes, en qualité d’observateur judiciaire, à la demande de l’Association internationale des juristes démocrates.
L’Université devient la cible numéro un du régime militaire. Dans les facultés, certains professeurs ont le courage de parler à leurs étudiants de liberté et de dignité humaine, à l’instar d’Aristovoulos Manessis et de Dimitris Maronitis à Thessalonique, ou encore du professeur de droit Georgios-Alexandros Mangakis à Athènes, arrêté en juillet 1969. L'ouvrage elefthería, agápī mou [liberté, mon amour], publié à Francfort, présente ses « carnets de prison ».
Dans son ouvrage Anthropofylakes, traduit en français sous le titre La filière : témoignage sur les tortures en Grèce, Periklis Korovessis (1941-2020) relate les tortures qu’il a subies au sein du quartier général de la Police, rue Bouboulinas à Athènes. Son témoignage a été une pièce à conviction majeure pour la condamnation de la junte militaire par le Conseil de l’Europe et Amnesty International.
La dictature fasciste de Metaxas organise les premières déportations des dissidents sur des îles grecques dès 1936. Ces lieux de détention et de tortures ne disparaissent pas au lendemain de la guerre civile. L’île de Makronissos, au sud-est de l’Attique, incarne à elle seule ces lieux de déportation, d’incarcération et de tortures. Le gouvernement grec y installe un « centre de rééducation » pour les citoyens contaminés par le « virus rouge ». D’ex-officiers SS y sont employés, comme ils le seront quelques années plus tard au Chili sous la dictature de Pinochet. Aux côtés de Makronissos, une liste macabre de lieux de détention s’égrène dans la mer Egée : Ikaria, Yaros (Youra), Agios Efstratios ou encore Anafi. Les mémoires de Nikos Tzamaloukas, ancien détenu sur cette île sous la dictature de Metaxas, sont publiées à Bucarest en 1972 par les éditions du parti communiste grec en exil.
La presse
La résistance contre la dictature des colonels se manifeste également à travers la presse. Un des exemples les plus marquants est celui d’Eleni Vlachos qui, dès le lendemain du putsch, fait cesser la publication de son journal Kathimerini (de tendance centre-droit). Panos Kokkas, propriétaire du journal Elefteria saborde lui aussi son quotidien avant de s’exiler à l’étranger. Les journalistes restants n’ont cessé de protester contre la censure. Christos Lambrakis, propriétaire des titres centristes (Ta Nea, To Vima), est emprisonné et déporté après avoir refusé de mettre ses journaux au service du régime. En parallèle, des titres comme Thourios, tribune de l’organisation « Rigas Ferraios », circulent clandestinement sous forme de feuilles ronéotées. À l’étranger, la lutte contre la dictature est menée par des titres tels qu’Eleftheri Patrida à Rome, Neos Kosmos à Bucarest, Makrygiannis au Canada (revue mensuelle publiée par l’Union panhellénique), ou encore la Poreia, publication de l’Union des étudiants grecs de Paris. Cette presse sert à la fois de plateforme d’information sur l’action dissidente menée par les différents réseaux de résistants en Grèce ou à l’étranger, et de réflexion pour l’analyse critique de la situation politique grecque et internationale.
Trois numéros de la revue Poreia sont présentés dans l'exposition.
- N°11, juillet 1969. Ce numéro relate plusieurs réunions tenues en France en soutien aux exilés grecs et en présence de représentants du monde politique, académique et artistique. La revue revient aussi sur l’assemblée générale de l’Union des étudiants grecs à Paris (Enossis ton en Parisiois Ellinon Spoudaston / E.P.E.S.) et relaie les messages de soutien adressés par les délégations d’étudiants algériens, espagnols, portugais, turcs et vietnamiens au peuple grec.
- N°13, janvier 1970. Relevons dans ce numéro la présence d’une affiche de l’organisation « Rigas Ferraios », distribuée aux lecteurs avec la revue, ainsi que des publicités pour diverses publications : l’essai The Greek Tragedy du sociologue Konstantinos Tsoukalas, le numéro spécial des Temps Modernes, « Aujourd’hui la Grèce », et l’ouvrage Le sang de la Grèce, publié aux éditions Maspero, solidaire des mouvements de la gauche internationale dans les années 1970. Dans ce dernier, l’avocat-militant de gauche Denis Langlois revient sur le procès d’Alekos Panagoulis suite à sa tentative échouée d’assassinat du dictateur Papadopoulos.
- N°15, juillet 1970. Dans ce numéro, la revue annonce la semaine du cinéma grec à la Cinémathèque, avec des films mettant à l’honneur les réalisateurs Michalis Kakogiannis, Nikos Koundouros, mais également l’actrice Mélina Merkouri, une des figures emblématiques de la résistance aux colonels parmi les Grecs exilés. Mentionnons également l’article consacré au coup d’État de 1970 au Cambodge contre le prince Norodom Sihanouk par Lon Nol, représentant d’une droite farouchement anticommuniste. Ce putsch, considéré comme un tournant dans la guerre civile cambodgienne, a été analysé dans Poreia sous le prisme du soutien américain aux putschistes, rappelant la complicité officieuse de la politique américaine vis-à-vis des colonels.
Pour aller plus loin
Une sélection bibliographique, présentée à l'entrée de la bibliothèque du 2 au 14 octobre 2023, revient sur la place de cette séquence de la Grèce contemporaine (1967-1974) dans l’histoire sociale, le débat public, les témoignages personnels et la littérature.
Dans les prisons des colonels
Children of the dictatorship
H Ελληνική νεολαία στον 20. αιώνα | Ī Ellīnikī́ neolaía ston 20o aiṓna
L'or des fous
Grecia
La Crise des dictatures
La filière
Les fiancés de Pénélope
Autour de l'exposition
Spectacle, le 12 octobre 2023
Liberté mon amour. Récits et chansons de résistants à la dictature des colonels
- Lieu : Auditorium du Pôle des langues et civilisations
- Horaire : 18h30-20h
La Compagnie Mymesis propose une lecture théâtralisée de témoignages et de récits personnels d’opposants à la junte militaire en Grèce entre 1967 et 1974. La lecture sera accompagnée d’images d’archives et agrémentée de chansons de résistance, composées durant les années 1960.
Journée d'études, le 13 octobre 2023
Ici École Polytechnique, 1973-2023 : usages et héritages de l’opposition estudiantine à la dictature des colonels
- Organisateurs : Joëlle Dalègre (PLIDAM/Inalco), Nicolas Pitsos (CREE/Inalco, BULAC)
- Lieu : Inalco, Auditorium Dumézil - 2 rue de Lille 75007 Paris
- Horaire : 14h-19h
En novembre 1973, la manifestation des étudiants de l’École Polytechnique à Athènes contre la dictature des colonels, est brutalement réprimée par la junte militaire au pouvoir, suite au coup d’État de 1967. Cinquante ans après, cette rencontre vise à réunir des chercheurs travaillant sur cette séquence douloureuse de la société grecque contemporaine. Il s’agit d’un côté, de retracer au fil des témoignages, la mémoire de ces événements, de ces actes de résistance et de dissidence s’inscrivant dans une longue série de pratiques de contestation sociale. D’un autre côté et en parallèle, cette manifestation souhaite interroger comment ce « lieu de mémoire » a été revisité au sein de la société grecque, tout au long des cinquante années écoulées depuis ce mois de novembre 1973, donnant lieu à des usages et à des registres multiples de la mémoire. Afin de placer la séquence des événements de l’École polytechnique dans une expérience géo-historique plus large, cette journée réunit aussi des intervenants autour de la thématique des mouvements étudiants dans les années 1960 et 1970 à travers le monde.
Journée d'études, le 15 novembre 2023
Athènes-Santiago, 1973-2023 : une histoire culturelle des luttes contre les dictatures
- Organisateurs : Anne-Laure Brisac-Chraïbi (BnF), Fabien Douet (BnF), Nicolas Pitsos (BULAC, CHCSC/Paris-Saclay)
- Lieu : Petit Auditorium, BnF François-Mitterrand - Quai François-Mauriac 75013 Paris
- Horaire : 9h-19h
Le coup d’État du général Pinochet au Chili le 11 septembre 1973 connaît un fort retentissement à l’étranger, notamment en Grèce où sévit la dictature des colonels depuis 1967. Deux mois plus tard, le 17 novembre, les manifestations d’étudiants à l’École polytechnique à Athènes sont très violemment réprimées par la junte, faisant plusieurs morts. « Chili-Grèce, mêmes ennemis, même combat », écrit la revue L’Autre Grèce depuis Paris, où des exilés des deux pays se sont réfugiés et s’entraident. Cinquante ans après ce sombre automne, une journée d’étude à la BnF revient sur ces événements en portant un regard croisé sur l’histoire culturelle des luttes contre ces dictatures.
Nos intervenants
Chargé des collections du domaine grec de la BULAC depuis 2017, chef de l'équipe EBCO (Europe balkanique, centrale et orientale) de 2017 à 2020.
Docteur en histoire, qualifié aux fonctions de maîtres de conférences en histoire moderne et contemporaine et en études grecques, Nicolas Pitsos est chargé de cours d'histoire à l'Institut catholique de Paris (ICP) et à l'Institut catholique d'études supérieures (ICES) où il enseigne l'histoire de l'Europe du Sud-Est. Nicolas Pitsos est chercheur associé au Centre de recherches Europes-Eurasie (CREE, Inalco) et au Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines). Spécialisé dans l'histoire de la presse, il est membre du réseau Transfopress.