Publié : 22/01/2024, mis à jour: 07/02/2024 à 21:07
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Les collections roumaines de l'Institut français des hautes études en Roumanie

Coup de projecteur sur la présence dans le fonds roumain de la BULAC d'un don des années 1950, témoin de l'activité de l'ancien Institut français des hautes études en Roumanie. De 1924 à 1948, ce centre de recherche a animé une politique déterminée de coopération scolaire et universitaire française à travers tout le territoire roumain.

Détail centré sur la Roumanie d'une carte statistique en couleur de l'Europe figurant les réseaux de transport et d'extraction de pétrole et les volumes d'importation et d'exportation par pays

Carte pétrolifère de l'Europe en 1931 (détail). Mihail Pizanty, Le pétrole en Roumanie. Bucarest, Moderna, 1933. Collections de la BULAC, BULAC MON 8 40707.

Un instrument de coopération bilatérale franco-roumain, victime de la guerre froide

L'Institut français des hautes études en Roumanie est inauguré en 1924 dans un contexte de renforcement des échanges politiques, économiques et culturels entre la France et les États d'Europe centrale. Encadré par une convention bilatérale franco-roumaine, l'Institut vise à développer les échanges scientifiques et culturels : séjour d'étudiants, d'enseignants et de chercheurs, diffusion de l'enseignement français dans les écoles et universités roumaines et rayonnement culturel.

Son activité se développe de façon notable au cours des années 1930 et se poursuit sans interruption pendant la Seconde Guerre mondiale. Le rapprochement accéléré de la Roumanie avec l'Union soviétique après 1945 aboutit toutefois à la dissolution de l'Institut en 1948, la France étant considérée par la Roumanie comme un pays hostile dans le contexte de la guerre froide.

Illustration gravée ou dessinée d'un meuble vaisselier en bois sculpté

Armoire à vaisselle podișor de Poeița Voinii. Illustration tirée de Romulus Vui, Le village Roumain de Transylvanie et du Banat. Bucarest, [Monitorul oficial si Imprimeriile statului, Imprimeria nationala], 1937. Collections de la BULAC, BULAC MON 8 40692.

Dessin ou gravure d'un vaisselier traditionnel  : applique en bois formée de rainures où son accrochées des assiettes à décor et des  cuillers

Vaisselier de Cueha [Culcea?]. Illustration tirée de Romulus Vui, Le village Roumain de Transylvanie et du Banat. Bucarest, [Monitorul oficial si Imprimeriile statului, Imprimeria nationala], 1937. Collections de la BULAC, BULAC MON 8 40692.

L'Institut français des hautes études en Roumanie et sa bibliothèque

Couverture de l'ouvrage, non figurative avec une bande verte vertiale et un logo constitué d'une couronne de lauriers stylisées. Estampille de l'Institut français des hautes études en Roumanie, cotes manuscrites  inscrites sur la couveture : Rl12 (in 12) et ROU.IB.IV.29.

Édition originale d'Emil Cioran, Pe culmile disperării [Sur les cimes du désespoir]. Bucarest, Fundaţia pentru literatură şi artă "Regele Carol II, 1934. Collections de la BULAC, BULAC MON 16 13125. Le document porte sur sa couverture l'estampille de l'Institut français et ses anciennes cotes.

La diffusion de l'édition française est un des axes développés par l'historien Alphonse Dupront qui dirige l'Institut entre 1932 et 1940. Cette politique contribue à développer l'embryon de bibliothèque créée à l'ouverture de l'Institut. Le fonds rassemble plus de 30 000 ouvrages à la veille de la Seconde Guerre mondiale, 45 000 en 1948. Une puis deux salles de lecture permettent la consultation sur place, un service de prêt est également proposé.

La mission première est d'offrir des publications françaises au public roumain. Le fonds rassemble toutefois une collection d'ouvrages roumains ou consacrés aux études roumaines qui s'élève à 883 titres à la fermeture de l'Institut. Le grand nombre d'envois et de dédicaces laissent penser que la majorité de ces livres sont des dons de partenaires de l'Institut.

L'inventaire de cette collection roumaine est aujourd'hui conservé dans les archives de la BULAC. La moitié des ouvrages relève de la littérature et de la philosophie, incluant de nombreuses traductions du français vers le roumain. L'histoire représente une gros tiers de la collection. S'y ajoutent une centaine d'ouvrages d'art et quelques titres consacrés à la musique, à la géographie ou aux sciences.

Deux bibliothécaires d'exception

Couverture d'une chemise portant les inscriptions manuscrites : "3 extraits de la pièce 1. Pièce n°7. Inventaire du Fonds Roumain. déstiné à l'École des Langues Orientales. Caisses N°"

Archives de la Bibliothèque des langues orientales : couverture du dossier d'inventaire du fonds roumain de la bibliothèque de l'Institut français des hautes études en Roumanie. Les mentions sont de la main de Roland Barthes.

La croissance rapide de la bibliothèque en quelques années s'explique par la professionalisation précoce de sa gestion par deux bibliothécaires à la carrière fulgurante.

La première est Germaine Lebel. Archiviste paléographe, elle est recrutée depuis un poste à la bibliothèque de la Sorbonne en 1939. Son installation est organisée par Alphonse Dupront et illustre l'importance donnée au développement du livre dans la politique de l'Institut. Elle dirige la bibliothèque tout au long de la guerre jusqu'en 1947 où elle prend un poste à Alger. Elle y fait la rencontre de Fernand Braudel dont elle suit alors la carrière : diplômée de l'EPHE, elle participe à la création de l'EHESS où elle devient la première femme titulaire d'une direction d'études.

Son successeur est le jeune Roland Barthes qui cumule les fonctions de bibliothécaire et d'attaché culturel dans le contexte troublé de la soviétisation de la Roumanie. Il sait développer d'excellentes relations avec les différents milieux intellectuels du pays. Sa présence est tolérée par les autorités roumaines jusqu'à l'été 1949, plus d'un an après le renvoi des autres membres du personnel de l'Institut français.

Sous leur direction, la bibliothèque de l'Institut français de Bucarest joue le rôle d'une véritable tête de réseau des fonds français mis à disposition des universités roumaines et écoles françaises présentes à travers le pays.

Pour aller plus loin :

  • André Godin, Une passion roumaine : histoire de l'Institut français de hautes études en Roumanie (1924-1948). Paris, L'Harmattan, 1998. [Disponible à la BULAC]
  • Stefan Lemny (dir.), Alphonse Dupront : De la Roumanie : Textes suivis d'une correspondance avec Emil Cioran, Mircea Eliade et Eugène Ionesco. Paris, Presses de l’Inalco, 2023. [Disponible en ligne]
  • Corinne M. Belliard, « Germaine Lebel : une chartiste à l’École des hautes études en sciences sociales ». Bibliothèque de l’École des chartes, 2020. [Disponible sur HAL-SHS]
  • Alexandru Matei, « Barthes en Roumanie : Histoire et Amour, expériences pathétiques », Romance Studies, 1996, vol. 34, n°3-4, p. 185-198. [DOI : 10.1080/02639904.2017.1308072]

1948-1949 : l'évacuation des livres de l'Institut

À partir du début de l'année 1948, des pressions du gouvernement roumain s'exercent sur l'activité du réseau culturel français. Des listes d'ouvrages censurés sont transmises à l'Institut pour qu'ils soient retirés de la circulation. Le 20 novembre, le gouvernement dénonce l'accord de coopération régissant l'activité de l'Institut. Les collections des différents établissements français sont alors dispersées auprès des correspondant ou rapatriées à Bucarest. On trouve ainsi dans le fonds conservé à la BULAC plusieurs ouvrages portant l'estampille du lycée français de la capitale roumaine.

Après la dissolution officielle de l'Institut, la bibliothèque continue de fonctionner, grâce au statut diplomatique du bâtiment qui l'abrite. Mais la police politique organise en mars 1949 une rafle aux portes du bâtiment, qui souligne la fragilité de la situation. Les ouvrages les plus précieux sont rapatriés vers la France au printemps. Au cours de l'été, l'évacuation des ouvrages est organisée. Le fonds roumain est probablement évacué vers la Bibliothèque des langues orientales à cette occasion.

Seul un noyau de 12 000 documents reste sur place. Après le départ de Barthes en septembre, la bibliothèque ferme ses portes au public, mais continue de desservir le personnel de l'ambassade. La bibliothèque ne rouvre qu'en 1970 avec le réchauffement des relations franco-roumaines.

Extrait de l'inventaire portant en marge au crayon rouge plusieurs mentions "Cens." pour "Censuré

Extrait de l'inventaire du fonds roumain de la bibliothèque de l'IFHER portant la mention de la censure de plusieurs ouvrages. La cote Rh (pour Roumanie-histoire) et le format indiqués en tête de page donnent un aperçu du système de cotes utilisé à l'Institut. La cote ROU.IB mentionnée dans la colonne de gauche est attribuée par la Bibliothèque des langues orientales lors de l'intégration du fonds. Archives de la bibliothèque des langues orientales conservées à la BULAC.

Couverture de l'ouvrage : titre composée en typographie cursive de couleur rouge vif dans une diagonale barrant la page et surmontant une illustration avec une figure géante d'ouvrier, clef à molette à la main, avançant derrière un horizon d'usines aux cheminés fumantes qu'il domine de sa taille ; la figure se détache d'un halo rouge vif

Couverture de la traduction roumaine du roman de l'écrivain soviétique Fedor Gladkov, Jurământul [Le Serment]. Bucarest, Cartea rusă, [1945]. L'ouvrage porte l'estampille du lycée français de Bucarest. Collections de la BULAC, BULAC MON 16 13125.

Les collections roumaines de l'IFHER conservées à la BULAC

Sur les 883 titres inventoriés à l'origine, 634 titres issus des collections roumaines de l'Institut français de Bucarest sont aujourd'hui conservés à la BULAC – la différence s'explique par les cas d'ouvrages censurés ou constatés perdus lors du transfert.

Le document le plus ancien est publié en 1854. L'immense majorité est toutefois contemporaine de l'Institut : 254 ont été publiés entre son ouverture en 1924 et 1940 ; 211 sont parus sous l'Occupation allemande ou à la Libération.

L'histoire et la littérature dominent largement. Les publications de la fin des années 1940, entre la fin de la guerre et la soviétisation de la Roumanie, sont un témoignage particulièrement important de l'activité éditoriale de cette période de transition.

Couverture illustrée par un dessin figurant une carte de la Roumanie mutilée par une main munie d'un couteau, surgie d'une manche portant une croixe gammée. La lame est enfoncée à la hauteur de la Transylvanie et fait jaillir du sang.

Milton G. Lehrer, Ardealul pǎmânt românesc : problema Ardealului vǎzutǎ de un American [La Transylvanie, terre roumaine : le problème de la Transylvanie vue par un américain]. Bucarest, Alfabetul, 1944. Collections de la BULAC, BULAC MON 8 40893. Le document porte sur sa couverture l'estampille de l'Institut français et ses anciennes cotes.

Couverture illustrée par un dessin représentant un homme poussant un rimmense ocher qui a la figure de Mussolini. Estampille de l'institut français et inscription manuscrite des anciennes cotes RH 223 (in-8°) et ROU(IB) III.173

Silvio Guarnieri. Adevărata față a Italiei [Le vrai visage de l'Italie]. Timișoara, editura Frontului antifascist al Italienilor din România [Front antifasciste des Italiens de Roumanie], 1945. Collections de la BULAC, BULAC MON 8 40892. Le document porte sur sa couverture l'estampille de l'Institut français et ses anciennes cotes.

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