Les lettres lituaniennes dans le tourbillon du XXe siècle
Cette exposition retrace l'histoire de la littérature lituanienne du XXe siècle, intrinsèquement liée au développement de l’identité nationale, aux premières tentatives démocratiques, aux guerres et à leurs terreurs, aux déportations et à l’exil. Elle met à l'honneur des dons et acquisitions majeurs du domaine lituanien, tel le don de Žibuntas Mikšys, artiste lituanien exilé à Paris.
Commissariat
Miglė Dulskytė, chargée de collections pour les domaines letton et lituanien
Et sonnent les cloches
Auparavant sporadique et réduite à l'œuvre religieuse et didactique, la littérature lituanienne connaît un essor important tout au long du XXe siècle, résultant d’une longue lutte du peuple contre l’oppression de ses moyens d’expression.
Entre 1864 et 1904, sous l’Empire russe, l’écriture et l’enseignement en lituanien sont interdits, renforçant le processus de russification déjà subi par la population. Des mouvements de résistance culturelle émergent dans un contexte d’oppression. Les Lituaniens à l’étranger, notamment en Prusse-Orientale, investissent dans l’édition et l’impression de presses clandestines. Des femmes et des hommes, connus sous le nom de knygnešiai (porteurs de livres) risquent leur vie en acheminant ces publications vers la terre lituanienne. La littérature et la presse parviennent ainsi à réunir les Lituaniens de différents milieux et appartenances identitaires et politiques autour d’un but commun, celui de l’idéalisme national. Influencés par la montée des sentiments nationaux et par le Printemps des peuples, les femmes et hommes de lettres se donnent comme mission de travailler pour le futur de la Lituanie et de participer à la préservation et au développement de sa langue, de ses coutumes et de sa culture, jusqu’à présent négligés et réprimés.
Pour le lecteur lituanien du début du XXe siècle, Aušra [L’Aube] et Varpas [La Cloche], les deux périodiques clandestins phares de l’éveil national lituanien, respectivement fondés en 1883 et 1889 en Prusse-Orientale, sont de grandes armes de résistance. En utilisant le slogan « Une personne libre dans une nation libre », leurs éditeurs contribuent à la montée de sentiments nationaux. C’est aussi grâce à cette presse périodique clandestine que des écrivains comme Maironis (1862-1932) et Vincas Kudirka (1858-1899), également éditeur en chef de Varpas, deviennent des icônes de l’éveil national lituanien.
Pour aller plus loin
Historique de la presse lithuanienne
Lietuviškos spaudos draudimas 1864-1904 metais
Spaudos draudimo ir atgavimo reikšmė kultūrinei mūsų pažangai
Lietuvių literatūros draudžiamojo laiko paskaitos: Antanas Vienažindys, Antanas Kriščiukaitis, Ksaveras Sakalauskas, Martynas Jankus
L'écriture Lituanienne au carrefour de l'histoire
Vers la littérature esthétique
Au tournant du siècle, la pensée critique sur la littérature – sa forme, son but, son pouvoir – est de plus en plus souvent évoquée dans la presse périodique lituanienne. La rhétorique d’éclaircissement des masses, présente chez les écrivains de l’ancienne génération comme Maironis, Šatrijos Ragana et Vincas Kudirka, devient la cible de la nouvelle génération, sortie des universités européennes. Cette dernière s’inspire des mouvements artistiques dans l’air du temps.
Pour aller plus loin
Abrégé d'Histoire littéraire de la Lithuanie
Erškėčių vainikas
L'énigme d'Amerika pirtyje
Amerika pirtyje [L’Amérique en étuve], la première pièce lituanienne jouée publiquement en Lituanie sous l’Empire russe en 1899, est une véritable déclaration politique et artistique contre l’oppresseur. Les officiels l’identifient comme une moquerie du régime tsariste et arrêtent presque tous ses participants. Expression d’une prise de conscience nationale, elle suscite un fort intérêt chez la population lituanienne, et continue d’être jouée de manière clandestine jusqu’à la levée de l’interdiction de la presse.
C’est dans Varpas que cette comédie est publiée pour la première fois en 1893, suite à l’appel à textes dramatiques lituaniens de Vincas Kudirka. Signée du pseudonyme Keturakis (littéralement, quatre yeux), la pièce est encore à ce jour l’objet de grands débats quant à sa paternité, attribuée à l’un des deux frères Vilkutaitis. La monographie de Vincas Kuzmickas (1936-1982) retraçant la vie d’Antanas (1864-1903), l’aîné, essaie de prouver sa paternité unique, alors que l’exemplaire provenant de la bibliothèque personnelle de Žibuntas Mikšys contient des coupures de journaux et des commentaires défiant cette affirmation : la paternité appartiendrait-elle en réalité au frère cadet, Juozas (1869-1948), ou bien serait-elle partagée entre les deux ?
Pour aller plus loin
Lietuviu teatras Peterburge
Lietuvių teatras, 1918-1929
Un souffle d'indépendance
La première indépendance lituanienne (1918-1940) est une période riche pour la création littéraire. La vie au sein de cette jeune démocratie et le souffle de liberté qu’elle produit ouvrent la porte à des recherches créatives, source d’une grande diversité littéraire aux tendances parfois contradictoires.
C’est le moment d’un épanouissement créatif : les symbolistes, les avant-gardes, les néo-romantiques et les réalistes cohabitent tous ensemble. L’enseignement supérieur se développe, la presse et l’édition sont en plein essor tandis que la vie littéraire s’organise autour d’associations d’écrivains. Les premières histoires littéraires sont ainsi publiées, suscitant pour la première fois un intérêt international pour la littérature lituanienne. Le fonds Constantin Balmont, poète russe exilé en France, en est l’illustration. En grande partie constitué d’ouvrages lituaniens de cette époque, signés et annotés par leurs auteurs, il exprime la diversité éditoriale qui traverse la première République lituanienne entre 1918 et 1940.
Pour aller plus loin
Sveika, Nepriklausomoji!
Pradai ir žygiai
Mūsų naujoji literatūra (1904-1923)
Vairas
Prošvaistė
Lietuvių literatūros istorija
À travers les symboles
Au centre de la poésie symboliste se trouve un sujet lyrique contemplateur, sans cesse torturé par ses recherches infinies et ses incertitudes. Les poètes de la période de l’indépendance se livrent à ce courant littéraire arrivé tardivement en Lituanie. Le bouleversement du monde, la fragilité de l’existence, la dualité de la vie et la mort, ne sont que quelques thématiques traversant cette poésie riche en contemplation, ainsi qu’en symboles mystiques et philosophiques.
Pour aller plus loin
Panorama de la littérature lithuanienne contemporaine
Naujos kryptys lietuvių literatūroje
XX amžiaus lietuvių poetai
Les néo-romantiques
Les Quatre vents de l'avant-garde lituanienne
Né du besoin urgent de renouveler la création littéraire et de s’inscrire sur la scène artistique européenne, le mouvement d’avant-garde devient un des principaux outils d’expression littéraire pour la jeune génération d’auteurs de la Lituanie indépendante. Inspirées par l’expressionnisme allemand, le futurisme russe, le cubisme, le dadaïsme et le surréalisme, les avant-gardes lituaniennes adaptent des expériences locales et se réunissent en groupes littéraires, comme Keturi vėjai [Quatre vents] et Trečias Frontas [Troisième front].
Le mouvement Keturi vėjai débute avec la publication collective Keturių vėjų pranašas [Prophète des quatre vents] à peine quatre ans après la déclaration de l’indépendance de la Lituanie. Donnant à voir une tranchante critique sociale à propos du manque d’intérêt des élus pour le budget de la culture, de la condition de vie misérable des créateurs et de la peur quasi insurmontable que suscite la situation géopolitique de cette jeune démocratie lituanienne, ce manifeste propose également une nouvelle réflexion sur la création littéraire. Elle se base sur quatre piliers : la discordance, la disproportion, la dissonance et la déconstruction.
La Seconde Guerre mondiale et les occupations russes et allemandes qui se suivent interrompent le développement littéraire de manière abrupte. Entre 1940 et 1945, 70 % des membres de l'Association des écrivains de la Lituanie choisissent l'exil. Les femmes et les hommes de lettres restés sur place n’ont d’autre choix que de se consacrer à la littérature idéologique ou d’entrer en résistance au risque de subir la déportation ou l’emprisonnement. Au moment de l'annexion de la Lituanie par l’Union soviétique en 1944, le mur tombe entre la Lituanie géographique et le reste de sa population en exil.
Sous le soleil soviétique
La prise de pouvoir soviétique ouvre une période de répression des mouvements littéraires. Toute création est mobilisée pour servir l’idéologie en place tandis que les précédents courants sont condamnés et dénoncés comme dangereux. Après la guerre, 81 écrivains sont ainsi condamnés ou déportés. Seul un fort conformisme peut alors permettre de survivre au régime stalinien.
À partir des années 1950, la littérature tente de reprendre le chemin de l’avant-guerre : on cherche à renouveler le lyrisme, à reprendre un ton plus poétique, fictionnel, et à évoquer le sentiment amoureux, tout en restant sous la forte influence du réalisme socialiste. Cette période permet ainsi un regard introspectif sur les créateurs du passé et plusieurs sont réédités et étudiés par des chercheurs en littérature.
Et malgré la censure, il est désormais plus facile d’exprimer une identité singulière. Des écrivains comme Icchokas Meras (1934-2014) ou Eduardas Mieželaitis (1919-1997) se mettent alors à inventer de nouvelles formes modernes qui trouvent leur écho à travers toute l’Union soviétique.
Pour aller plus loin
The current state of Baltic literatures under Soviet occupation
Lietuvių literatūra ir pasaulinės literatūros procesas
Literatūriniai kontaktai
Tarp estetikos ir politikos
Sovietmečio lietuvių literatūra
Literatūra ir Menas
Du sens à l'exil
En fuyant les répressions nazies et staliniennes, la plus grande partie des femmes et des hommes de lettres lituaniens choisissent l’exil. Certains se retrouvent dans des camps de personnes déplacées en Allemagne, d’autres partent vers l’Italie ou la France. La littérature redevient l’un des outils principaux de lutte de la société lituanienne. Elle reflète alors une situation sociale et politique divisée, entre d’un côté les Lituaniens qui choisissent le conformisme, et de l’autre ceux qui cherchent à tout prix à retrouver leur liberté perdue.
À partir des années 1950, la plus grande communauté littéraire lituanienne se retrouve aux États-Unis, notamment à Chicago. Malgré de fortes influences occidentales, les plumes de ces écrivains reviennent sans cesse à la mémoire lointaine de l’enfance, de la nature des terres baltiques et au rythme de vie lituanien qu’ils ont dû abandonner. Cette mémoire nostalgique se transforme en une identité singulière, explorée dans les œuvres les plus inventives du XXe siècle.
L’espoir créé par la détente faisant suite à la mort de Staline rapproche les exilés lituaniens, mais il est rapidement écrasé par les nouvelles répressions soviétiques. Romas Kalanta, jeune dissident de 19 ans, s’immole par le feu au début des années 1970. C’est le premier d’une série de suicides dans le milieu culturel en réponse aux répressions de la culture lituanienne. Ce moment marque encore une autre vague d’exils artistiques : Icchokas Meras, Tomas Venclova, Saulius Tomas Kondrotas, des écrivains tous déjà reconnus, quittent à leur tour la Lituanie soviétique.
Dans l’air tumultueux des années 1980, les femmes et les hommes de lettres lituaniens se retrouvent de nouveau au devant de la lutte. L’Association des écrivains prend une place de premier plan dans la révolution chantante qui mène à la restauration de l’indépendance en 1990. Ce n’est qu’à ce moment-là, après des années de division idéologique, qu’une voie partagée et consensuelle s'ouvre enfin à la littérature lituanienne.
Pour aller plus loin
Lietuvių egzodo dramaturgija
Lietuvių egzodo literatūra
Lietvių literatūrinė kritika tremtyje
Žemės keleiviai
La nouvelle littérature lituanienne
« Entre fantômes du passé soviétique et plongée brutale dans les nouvelles libertés capitalistes, la Lituanie d'aujourd'hui est "indescriptible", explique [l'écrivaine] Jurga Ivanauskaitė (...) Jurga Ivanauskaitė tient le lecteur en haleine avec ses scènes érotiques, Jurgis Kunčinas balade à travers le monde un héros post-soviétique, libéré de ses attaches sociales ou locales, qui illustre bien la mondialisation... [Paulius V. Subačius] » (« Lis-tu lituanien ? », Lorraine Millot, Libération, 17 octobre 2002) La nouvelle littérature lituanienne reste intrinsèquement liée à l'idée de l'identité nationale, aux guerres et à leurs terreurs, aux déportations et à l'exil.
Retrouvez ci-dessous un choix d'ouvrages empruntables, présentés à l'entrée de la BULAC jusqu'au 13 décembre 2022.
Bilė ir kiti
1940
Bokštai
Altorių šešėly
Augintinių žemė
Apie viską ir nieką
Belaukiant
Antanas Škėma ir slinktys lietuvių literatūroje
Bees on the Snow
L'exposition dans les médias
« Šį rudenį čia – ypač daug dėmesio Lietuvai. Lapkričio 15-osios vakarą atidaryta paroda „Lietuvių literatūra 20 a. verpetuose“ ir surengtas susitikimas su Paryžiuje gyvenančiu rašytoju Valdu Papieviu. »
Extrait de l'article consacré à l'exposition par Ieva Vaitkevičiūtė sur LRT [Radio-télévision nationale lituanienne] (16-11-2022)
Nos intervenants
Chargée de collections pour les domaines letton et lituanien de 2021 à 2023