Sciences sociales « d’ailleurs » ?
Comment comprendre le monde contemporain, sans traduire ce qui s’écrit en histoire, philosophie ou sociologie dans des régions du monde en plein bouleversement ?
En collaboration avec les Éditions de l’EHESS
Si l’internationalisation des sciences humaines et sociales s’accompagne d’une utilisation massive de l’anglais, une pensée critique du monde contemporain ne peut se construire que dans des circulations multiples et une réflexion critique sur la transposition des concepts. Comment circulent aujourd’hui les sciences sociales entre la France, le monde turc, la Corée ou encore la Russie, sur quelles traditions s’appuient-elles, quels sont les vecteurs de connaissance et les points de blocages ?
Introduction du recueil « Sciences sociales d'ailleurs. 32 ouvrages à traduire »
L’idée qui a présidé à la conception de « ce recueil » n’est pas d’être prescripteur. En présentant des livres parus dans des aires linguistiques et culturelles souvent peu visibles sur la carte « spontanée » de nos savoirs, notre objectif n’est pas davantage de pointer des « lacunes » dans le champ français, qui demeurent par ailleurs souvent difficiles à circonscrire.
Il s’agit plutôt d’alimenter un débat : les sciences sociales françaises sont maintenant largement internationalisées, mais l’édition en sciences humaines, dominée par les études d’auteurs nationaux et un nombre modeste – bien qu’en progression numérique – de traductions d’auteurs majoritairement anglophones, reflète peu ce fait.
Introduire un auteur étranger dans le champ national – surtout s’il écrit dans une langue « à faible diffusion » – est bien sûr un pari risqué, sur le plan intellectuel autant qu’économique. Il s’agit de susciter une alchimie complexe dans laquelle il faut à la fois « inventer » un contexte de réception et introduire une pensée étrangère, dont les références, si ce n’est l’articulation conceptuelle tout entière, doivent être « acclimatées ».
Éditer des sciences sociales, c’est avant tout admettre que la traduction des concepts fait partie intégrante de la recherche. Les débats qui se déroulent hors du champ national ou de son environnement intellectuel proche peuvent nous permettre de déplacer nos propres questionnements. La forme même de nos textes, définis par une culture scientifique propre, peut être questionnée par les écrits venant d’aires culturelles différentes. Plus que jamais, en effet, les sciences humaines françaises et le débat d’idées ont besoin de s’alimenter ailleurs.
Les ouvrages ici sélectionnés sont le fruit du travail d’une « cellule de veille » au sein de l’EHESS, regroupant des chercheurs fréquentant des « terrains » non francophones et soucieux de faire partager leurs sources et leurs enthousiasmes. Chaque texte est signé car chaque choix est assumé. Notre contribution à ce débat sera modeste, mais cherchera à défricher des champs non explorés : des aires culturelles proches ou lointaines, dont les auteurs de non-fiction sont peu traduits: Amérique latine, Europe centrale et orientale, Moyen-Orient, Asie du Sud, Continent africain, etc.
Les Éditions de l’EHESS sont actives dans la réflexion sur les circulations des savoirs et la mobilisation en faveur de plus de traduction dans les sciences humaines. En 2009, nous avions été à l’initiative du manifeste Pour une édition en sciences humaines réellement européenne, affirmant la nécessité d’une circulation accrue des textes en Europe – en particulier entre l’est et l’ouest du continent – et la reconnaissance de la pluralité des « façons de faire la recherche » (rapports en ligne sur www.editions. ehess.fr/menu/international/).
Aujourd’hui, avec ce recueil, nous souhaitons alerter les éditeurs français et francophones, mais aussi la communauté des chercheurs, des bibliothécaires, des traducteurs ainsi que l’institution universitaire et les responsables politiques, sur l’urgence d’une réelle politique d’aide à la traduction d’ouvrages scientifiques au niveau européen.
Les Éditions de l’EHESS
(Re)lire les ouvrages proposés à la traduction dans les collections de la BULAC
"Трагическая эротика" | "Tragičeskaâ érotika"
The invention of Africa
Os Kuvale na história, nas guerras e nas crises
Tolerance and coercion in Islam
Widziane z dołu
Ottoman propaganda and Turkish identity
Türk edebiyatı ve Birinci Dünya Savaşı, 1914-1918
Zjazd gnieźnieński
Consulter une sélection d'ouvrages sur la traduction des sciences sociales à la BULAC
Europe et traduction
Dire presque la même chose
L'analyse du discours comme méthode de traduction
Histoire des traductions en langue française
Dodonæus in Japan
L'ambre et le fossile
Introduction à la traductologie
De Cicéron à Benjamin
After Babel
Plus de 350 langues sont représentées dans les collections de la bibliothèque, mettant la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations au carrefour des langues du monde. La traduction, outil de dialogue entre les cultures, participe à la défense de la...
Nos intervenants
Ioulia Podoroga est docteure en philosophie, HDR en études slaves, chercheure associée à Eur’Orbem (Sorbonne Université) et CERCEC (EHESS/CNRS). Elle a poursuivi ses recherches postdoctorales à l’université de Mayence (2010-2011), au centre Marc Bloch de l’université Humboldt de Berlin (2011-2012) et à Columbia University (New-York). Elle a travaillé à l’Unité de russe de l’Université de Genève comme collaboratrice scientifique sur le projet Concepts philosophiques en littérature et théorie de l’art en Russie (1910-1940) : transferts et transformations interdisciplinaires, soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). Elle enseigne actuellement au département d’études slaves de l’Université de Strasbourg.
Docteur en histoire (École des hautes études en sciences sociales) et en sciences politiques (Institut d'études politiques de Paris), Hamit Bozarslan est directeur d’études au Centre d’Études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC). Il a été codirecteur de l’Institut d'études de l'Islam et des sociétés du monde musulman (2002-2008) et membre du bureau de l’EHESS (2009-2011). Ses travaux portent sur la sociologie politique et historique du Moyen-Orient, ainsi que sur la violence et les questions minoritaires dans cette région.Il est l'initiateur de Sciences sociales d'ailleurs.
Alain Delissen est historien, géographe et coréaniste, membre du Réseau des études coréennes. Travaillant sur la période coloniale, il y étudie les formes matérielles, sociales ou symboliques de Séoul, bouleversé par de puissantes migrations où se jouent assimilation et discrimination. Observateur de la Corée contemporaine divisée, il tente d’en saisir l’évolution au moyen privilégié des usages savants et sociaux, publics ou privés du passé national. Il dirige depuis une dizaine d'année un groupe de travail qui a placé la traduction collective des sciences sociales coréennes au cœur de ses pratiques de recherche et de son engagement pédagogique.
Benjamin Guichard est conservateur en chef des bibliothèques, directeur scientifique de la BULAC depuis 2015.
Réécouter la rencontre
Conférence de
- Ioulia Podoroga, docteure en philosophie ;
- Hamit Bozarslan, directeur d’études au Centre d’Études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC) ;
- Alain Delissen, historien, géographe et coréaniste, membre du Réseau des études coréennes ;
- Benjamin Guichard, conservateur en chef des bibliothèques, directeur scientifique